José Mediavilla n’est pas Don Quichotte de la Mancha mais peu
s’en faut, a écrit le journaliste Raymond Bernatchez dans La Presse de juillet
2007. Né en Espagne, cet homme a émigré au Québec en 1968 puis s’est installé à Rouyn-Noranda peu
après pour y enseigner la physique.
En 1976, il prenait sous son aile non pas
Dulcinée mais une forêt de Montbeillard au sud de Rouyn où il aménagea un
sentier de randonnée pédestre aujourd’hui reconnu par l’état.
Le journaliste précise qu’après avoir
marché ce sentier avec lui quelques jours auparavant, José Mediavilla lui a
semblé particulièrement étonnant. Rarement ai-je rencontré dans le cours de
mon existence un être aussi patiemment et constamment déterminé dans l’atteinte
d’un objectif.
Ce sentier est indubitablement le sien même s’il n’en possède pas
le bien-fonds. Bien qu’il soit officiellement désigné comme étant le Sentier de
randonnée pédestre Opasatica, les passionnés de randonnées ne s’y trompent pas.
Lorsqu’ils s’y donnent rendez-vous, ils évoquent plutôt le sentier à José.
Il s’agit d’un réseau de pistes totalisant 12 km. La plus importante chevauche une ligne de crête de
100 mètres entre la baie de l’Orignal , d’où il est parti il y a une vingtaine
d’année pour le constituer, et la baie Verte sise sur l’autre versant. La piste
est qualifiée de splendide. Mediavilla a déniché cette forêt par pur hasard.
La colline faisait face à sa
nouvelle maison à la baie à l’Orignal. C’est sur un pont de glace et en
raquettes qu’il s’est d’abord aventuré à cet endroit. Le reste était affaire de
temps et de patience. José Mediavilla a mis une bonne quinzaine d’années pour
établir, tracer et nettoyer ses 12 km de pistes. En s’orientant à la boussole et
en ne recourant fondamentalement qu’à deux outils: une machette et une scie à
main. Jusqu’à ce que des amis viennent récemment lui donner un coup de main pour
débroussailler avec des moyens moins archaïques, ajoute le journaliste.
C’est ainsi qu’il a déblayé les abords des plus beaux promontoires. Tout en les reliant par un réseau de sentes
offrant en alternance des plages d’efforts, de marche sur le plat et de
contemplation. Comme paradis du marcheur on ne fait pas mieux. Un vétéran de la
randonnée pédestre qui a fait deux fois Compostelle l’a qualifié de
remarquable après l’avoir emprunté. Voilà qui devrait ravir José qui prononce
toujours son prénom en remplaçant le J par un H aspiré tout en roulant des R. On
ne perd pas forcément l’accent castillan en gagnant le nord.
Le produit fini est décrit de la
façon suivante: la vue que l’on a à partir de cet endroit sur le lac Opasatica
est tout à fait saisissante. La piste semble conçue à la manière d’un feu
d’artifice lent bien qu’il l’ait de fait élaborée en sens inverse. De l’aire de
stationnement, sise à 1,6km de l’entrée du chemin de la baie Verte, apparaissent
successivement les monts Kekeko, Kanasuta et Chaudron en fond de décor derrière
le lac évain et la baie Verte, des vues sur la baie de l’Orignal, une autre sur
la baie à Beaupré en traversant sa forêt ancienne protégée puis, à l’apogée, le
lac Opasatica presque entier qui doit bien faire 30 kilomètres de long. On le
voit de Arntfield jusqu’à la baie de l’Île. Notre regard porte jusqu’en Ontario
à l’ouest de la West Bay, une autre des beautés cachées de cette immense
région.
Montbeillard est donc maintenant
une destination de choix pour les adeptes de la marche en forêt. Dans les jours
qui suivirent la publication de l’article dans La Presse, des gens sont venus de
la région montréalaise pour s’oxygéner à cet endroit et apprécier les vues sur
l’Opasatica. Sans doute ont-ils été séduits par ce qui suit: L’Abitibi est,
comparativement aux Laurentides et au Saguenay, une région plutôt morne en
termes d’accidents de terrains. Mais là où il y en a (comme au parc
d’Aiguebelle, au Kekeko, au Kanasuta, au mont Chaudron et maintenant au Sentier
à José ne lui en déplaise), il suffit d’une élévation de quelques centaines de
mètres, pour faire le plein de paysages ruraux, forestiers et lacustres. Pour
voir vraiment grand l’Abitibi, on doit mettre ses chaussures de marche et
grimper dans les sentiers comme s’ils s’agissaient des marches de la Tour
Eiffel.
Pour voir plus haut et plus loin
que le visionnaire José Mediavilla qui a su faire briller ce joyau forestier, on
doit, comme les grands aigles noirs qui planaient vraiment au-dessus de nos
têtes au point culminant du sentier, pouvoir battre des bras et s’envoler en
endossant un cerf-volant.
Le journaliste Raymond Bernatchez
a cru déceler une inquiétude chez José Mediavilla et en a fait part aux
lecteurs. Il la perçoit dans son regard lorsqu’il constate notamment que des
porcs-épics rongent la cime de certains arbres majestueux les condamnant
irrémédiablement à mort. La survie du sentier l’inquiète manifestement. Bien que
les pouvoirs publics soutiennent son initiative, qu’en sera-t-il lorsqu’il ne
sera plus de ce monde? Qui, après lui osera à sa place affronter, avec autant de
donquichottisme et vaincre, les moulins des scieries et les scies à chaînes des
coupeurs de bois de poêle? Plus de gens marchent sur un sentier moins il y a
d’efforts à faire pour l’entretenir a constaté Mediavilla à la faveur d’une
pose en rangeant sa machette au foureau. La conclusion de l’article est la
suivante : plus de gens feront savoir qu’ils y tiennent mordicus en
l’entretenant de leurs pas, meilleures seront en effet les chances qu’il soit
encore là dans 100 ans.