Extrait du journal d'expédition de Jean de Beauchastel, envoyé du Roy dans les Hautes Terres de Nouvelle France;
la traverse des Monts Kékéko


A
lorsblason que nous doublions la Pointe aux Trembles du lac Obasatikaw, nous aperçûmes, se profilant au nord-est, une imposante série de collines dont la seule vue jeta nos guides algonquins dans un état d'excitation qui piqua fort notre curiosité. Comme ils psalmodiaient un de ces chants monotones dont ils sont coutumiers et où nous notâmes le retour fréquent du vocable -kêkêk-, nous nous enquîmes de la cause d'une telle effervescence. Avec les réticences d'usage quand confrontés à l'indiscrète curiosité des visages-blêmes, ils nous laissèrent savoir que les collines Kêkêk (ou Monts de l'Épervier ) recélaient, notamment en leurs sommets, maintes herbes de médecine dont l'accès n'était assuré que par un chiche sentier de traverse, portant néanmoins le nom initiatique de "Sentier de la Sagesse" ou "Sentier de Lumière".
Malgré la connotation fâcheuse de cette dernière désignation avec le trop fameux sentier du Pays de l'Inca, notre enthousiasme d'herboristes l'emporta et nous décidâmes, Lord Arntfield et moi-même d'accompagner nos sauvages dans leur quête des mastiki( plantes médicinales ).
Le lendemain, nous décampâmes à soleil levant et dirigeâmes nos pas vers le massif Kêkêk. Arrivés à proximité de ce dernier, quelle ne fut pas notre surprise de trouver un vaste espace de 800 coudées( 400 m approximativement) de longueur, recouvert de cette roche noire appelée asphaltos que l'on trouve dans les contrées où l'on extrait de l'huile à lampe. L'aire eut pu contenir moult carosses, au moins autant que ceux que l'on se voit se presser à Versailles ou à Paris, lors des soupers du Régent.
Makadamik, notre métis interprète, désigna la roche sous le nom de atäkïpi pimite, et suivant du doigt une des profondes craquelures qui la crevassait, il ajouta avec toute la gravité qui sied à tel propos:"Abitibiki" ou en traduction libre: "là où le bitume se sépare" .
À l'extrémité nord-ouest nous empruntâmes un chemin fort raviné qui fut bientôt obstrué par un barrage érigé par l'industrieux Castor canadensis et le lac de retenue subséquent. Après moult louvoiements nous rejoignîmes une route carossable ( la très vieille route menant au Témiscamingue ) et c'est après avoir gravi une côte et être parvenus à un semblant de col, que nous obliquâmes à dextre, pénétrant ainsi derechef dans la sylve abitibienne où s'amorçait le mikan ou sentier dont il a été question plus haut.
Le bois, bien que non spectaculaire, jeta néanmoins tout mon être dans un calme ravissant et je me plus à noter la présence de Picea glauca (épinette blanche) se mêlant harmonieusement à l'Acer rubrum ( érable rouge ) et au Betula papyrifera ( bouleau à papier ).
Nous parvînmes bientôt à un petit cirque rocheux rehaussé d'un seyant muret que nous gravîmes, pour découvrir un peu plus loin, un de ces curieux blocs rocheux solitaires ( bloc erratique ) dont l'errance prit fin avec la fusion de sa prison mobile de glace. Comme le socle rocheux affleurait en maints endroits, le Pinus banksiana ( pin gris ) avait trouvé là son terrain d'élection, nous offrant un bois fort ouvert que nous traversâmes, tantôt grimpant, tantôt parcourant de vastes plates-formes.
Nous descendîmes enfin dans une légère dépression où stagnait un ruisselet de fonte et entreprîmes alors l'ascension de la première, d'une longue série de collines. De nouveau, la minceur de l'humus recouvrant la base rocheuse, favorisait la prééminence de Pinus banksiana associé à quelques Pinus strobus ( pin blanc) et Pinus resinosa ( pin rouge ). Le sol, recouvert parfois d'un épais tapis de mousse, conférait à notre marche une allure plus souple et plus voluptueuse à la fois, qui allégeait quelque peu le fardeau de la montée.
Débouchant soudainement sur un espace ouvert regardant vers l'ouest, nous pûmes alors réjouir notre vue d'un de ces panoramas qui invariablement force tout homme de bien à s'élancer incessamment vers l'auteur de toutes choses, oublieux un instant du tumulte de la société et du mesquin commerce des hommes. Il faut cependant reconnaître que celui des diptères à notre égard et qui est fort actif en ces contrées durant les quelques chaleurs estivales, laissait moins de place au détachement.
Sur l'arrière d'une colline, nous pouvions apercevoir 2 petits lacs( lacs Ollier et Renaud ), littéralement nichés dans un écrin de verdure, tandis que s'étendait jusque vers l'horizon et selon de douces variations de relief, la taïga qui troquait progressivement le vert tendre de sa robe pour des teintes bleu horizon.



À propos Page 3 Page 4 Page 5 Page 6