D
ans l'intervalle de pleine quiétude et de totale euphorie auquel je me trouvai en cet instant, je sentis mon âme se diluer en cette nature omniprésente, renouant peut-être avec un panthéisme jubilatoire, plus proche du paganisme indigène que de mes voeux sacerdotaux.
Imputant cet égarement momentané de mes sens aux prémices d'une fatigue corporelle que je me devais de réprimer pour satisfaire aux exigences de l'expédition, je rattrapai le groupe qui déjà s'éloignait, dans ce qui m'apparut être un ancien brûlis où végétaient de malingres feuillus, dominés de place en place par les hauts fûts tronqués d'anciens Pinus strobus , derniers vestiges de l'architecture d'une forêt incendiée et qui sont maintenant les évidentes balises du sentier.
Parvenant à une zone partiellement couverte de conifères, nous perçumes le bruit d'une fuite précipitée, saluée par le cri de celuy qui marchoit en tête: makwa! makwa! , soit Euarctos americanus ( ours noir ), qui venait d'être dérangé dans sa queste quotidienne de nourriture, icy un salmigondis d'insectes comme en témoignaient les différentes pierres consciencieusement retournées et le tronc d'arbre déplacé.
Wagociwi - celuy qui est fin comme un renard - mis en verve par l'incident m'expliqua qu'après kawasikotote kîsis - la lune qui fait partir la glace - ( avril ) et avant Miskwîmin kîsis - celle des framboises - ( juillet ), Makwa connaît souvent une période de vaches maigres, durant laquelle, malgré sa réserve naturelle, il peut lui prendre fantaisie de se résoudre à la fâcheuse extrémité d'améliorer son ordinaire, en venant puiser nuitamment dans votre garde-manger. Me voilà donc obligeamment instruit et de ce fait un peu plus sur le qui-vive.
lac Hector
Comme il eût été malséant que le sentier ne passât point par Icpätina , le point le plus élévé des monts Kêkêk - environ 1485 pieds - ( 1 pied valant ici 0,33 cm ; mesure française de l'Ancien Régime ), nous culminâmes sur cette "élévation" en laquelle, Lord Arntfield prist hauteur et trouva: 48 degrez 11 minutes.
À une portée de fusil nous parvînmes à un promontoire isolé au mitan de la forêt, qui nous offrist le dernier mais comme il se doit dans tout crescendo savamment dosé, non le moindre des panoramas entrevus jusque là.
S'ouvrant côté sud et dominé d'une montagne aux parois abruptes illuminées par les feux du couchant, miroitait le lac ( lac Hector ) où nous allions établir notre campement. Vers l'est, dans l'échancrure d'une vallée on pouvait apercevoir une large plaine où s'étalait un lac aux dimensions notables (Beauchastel).
À l'instar du cheval qui hume la proximité de l'écurie, c'est d'un trot léger que nous dévalâmes la pente boisée qui s'offrait à nous, pour tomber ex abrupto sur une inattendue petite route de terre, qui complaisamment nous mena vers le lac sur les berges duquel nous devions passer la nuit.

Québecq le quinziesme de may de l'an de grâce 17.. sceau

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