D
e cet observatoire improvisé, lac Grance nous laissâmes notre regard plonger dans la vallée qui s'ouvrait à nos pieds, s'élever sur les flancs de la montagne de l'autre côté et errer au-delà, vers un autre lac  ( Lac Grance ), qui d'un curieux monticule chauve était flanqué .
Comme chacune de ces composantes semblait se disputer à l'envi le droit de fixer notre attention, nous résolûmes finalement de leur tourner le dos afin d'entreprendre la descente dans la vallée. Elle s'avéra moins difficile que les accidents du terrain ne le laissaient présager car le sentier en prenant une direction nord-est, se maintint d'abord à une altitude constante avant de négocier une descente dans une zone où les lignes de niveau commençaient à se distancier.
Le fond de la vallée me transporta un court instant loin de l'Abbitibbi car, quoiqu'il n'y eut là qu'une bétulaie encombrée de rochers, le mariage fort réussi du minéral et du végétal, s'associa dans mon esprit avec la mythique forêt de Brocéliande et les légendes celtes.
Laissant derrière moi Merlin l'Enchanteur et le Roy Arthur, je grimpai par un gaulis de Populus tremuloïdes pour rejoindre mes compagnons qui progressaient déjà plus haut en terrain plat, dans un espace semi-dégagé couvert de place en place par de jeunes feuillus. Nous arrivâmes ensuite sur une plate-forme rocheuse, plantée de Pinus banksiana, où une mare, semblable à un petit bassin artificiel, avait élu domicile. L'endroit avait un caractère idyllique qui invitait, soit à méditer, soit à se sustenter.
Comme aucun de mes compagnons ne parut enclin à de telles dispositions, nous continuâmes notre chemin qui, tantôt descendant, tantôt montant, finit par nous ramener, après la traversée d'une zone assez plane, coupée un bref instant par un ruisseau, de nouveau vers l'extrémité de la falaise d'où nous pouvions une nouvelle fois embrasser d'un seul coup d'oeil, un panorama désormais familier, qui allait encore de temps à autre, solliciter notre regard.
Longeant ladite falaise, je remarquai dans les stations de croissance arbustive, fort fréquentes en ces zones élevées, le broutage consciencieux des brouts ( jeunes pousses ) par les cervidés tels que Odocoileus virginianus ( cerf de Virginie ou chevreuil ) et Alces americana ( élan d'Amérique ou orignal ), que les chasseurs algonquins nomment respectivement et respectueusement: Wawackêci et Mônz .
Nous quittâmes bientôt le bord de la falaise pour nous enfoncer dans les bois et alors que nous émergions dans une ample clairière où la roche était à nu, un des sauvages, désignant le sommet d'un pin, prononça plusieurs fois le mot Kâk . J'aperçus alors, fort dépité de voir son repas d'écorce interrompu, un Erethizon dorsatum ( porc-épic ), que tout chasseur digne de ce nom laissera en paix, car cette proie facile, nonobstant la houppelande de piquants, semble tacitement réservée à ceux, qui perdus en forêt et désarmés, pourront trouver là de quoi subsister.
Après la traversée d'un superbe belvédère et quelques circonvolutions par un bois assez clairsemé, nous longeâmes, avec une certaine circonspection, une paroi abrupte haute d'environ quatre-vingts pieds.
On pouvait noter, que sous l'effet conjugué des forces d'expansion du gel et de la gravité, des pans entiers de roches avaient glissé vers le bas, alimentant une zone d'éboulis et laissant certains conifères en sursis, dans une situation précaire. Le paysage qu'il m'était donné de contempler était par trop singulier, solitaire et sauvage pour que je n'en fisse point ici la description.

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